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Christophe Grudler : « Tout le monde a compris que sans industries en Europe, il n’y aurait pas d’avenir économique »

INTERVIEW | La fermeture de Bridgestone dans le nord de la France est venue nous rappeler que la situation de l’industrie française fait face à des problèmes structurels et des défis majeurs. Comment peut-on agir pour limiter de telles situations de fermetures à répétition ? 

La récente annonce de la fermeture de Bridgestone est dommageable, et j’ai une pensée pour tous les employés qui sont concernés. Des fermetures de sites de production cela arrive hélas, et c’est un vrai problème quand il est difficile de retrouver un emploi ensuite.

Dans ma région autour de Belfort, nous sommes confrontés aux mêmes problématiques de ralentissement industriel, notamment avec la situation de General Electric. C’est pour cela que je me suis engagé sur ces questions au Parlement européen, afin de trouver des réponses européennes à ces difficultés industrielles.

Le plan de relance français, qui sera financé à 40 % par l’UE, va dans le bon sens sur cette question : il met l’accent sur la réindustrialisation, voire la relocalisation de certaines productions stratégiques. C’est indispensable, à la fois pour protéger les emplois existants, mais aussi pour en créer de nouveaux, et avoir ce dynamisme industriel dont nous avons terriblement besoin.

Je pense qu’il est aussi important d’agir à l’échelle européenne afin de limiter ces fermetures et protéger nos industries. À cet égard, la nouvelle politique industrielle européenne, sur laquelle je suis rapporteur pour mon groupe Renew Europe, offre des pistes pour maintenir des industries compétitives, notamment en les aidant dans la double transition, à la fois écologique et numérique. Il faut aussi savoir mieux anticiper, pour prévenir les crises et identifier les gisements d’emplois de demain.

Où en est l'industrie européenne aujourd'hui ? Est-elle si faible qu'on le dit ? Quelles sont ses principales menaces ? 

C’en est en tout cas fini avec le vieux concept périmé, qui voulait nous faire croire qu’il fallait uniquement garder la matière grise en Europe et délocaliser les productions industrielles en Asie par exemple. Maintenant, tout le monde a compris que sans industries en Europe, il n’y aurait pas d’avenir économique.

Parler de faiblesse de l’industrie en Europe aujourd’hui est totalement erroné. Nous avons de nombreux fleurons industriels en Europe et en France qui nous permettent d’exceller dans des secteurs stratégiques comme l’aéronautique par exemple. N’oublions pas que l’industrie en Europe c’est 35 millions d’emplois et 20 % de la valeur ajoutée totale produite, ce n’est pas rien !

Mais bien sûr, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de difficultés, et c’est d’ailleurs pour cela que l’adoption d’une stratégie industrielle européenne était indispensable.

Comme la crise actuelle nous l’a montré, nous restons dépendants de l’extérieur dans certains secteurs industriels stratégiques, par exemple la production de médicaments. C’est pourquoi je crois que nous devrions apprendre de cette crise et relocaliser certains domaines stratégiques. À la fois agir pour nos emplois, mais aussi pour sécuriser notre capacité d’approvisionnement et renforcer notre autonomie. Pour cela, nous devons accorder une importance particulière aux PME qui représentent 99 % des entreprises européennes.

Une autre menace tient bien sûr à la compétition internationale et à la capacité de nos industries à faire face à celle-ci. C’est pourquoi l’Union Européenne réfléchit également à toute une série de mesures : révision des règles de concurrence, introduction des règles de réciprocité entre l’Europe et les pays qui veulent commercer avec elle, chasse aux subventions d’État cachées et à l’empreinte carbone. 

Pour ce dernier projet, nous allons mettre en place un mécanisme de compensation carbone aux frontières. L’idée est que si un produit est fabriqué dans un pays tiers selon des normes environnementales plus faibles que les normes européennes, alors il faut le taxer pour que son prix reflète cette réalité. Cela permettra d’avoir des industries européennes qui restent compétitives, tout en produisant selon les normes écologiques les plus élevées qui soient.

On a l'impression que l'UE n'agit qu'en réaction ? Prépare-t-elle suffisamment l'avenir à vos yeux ? 

Cela a pu être le cas par le passé, mais je crois qu’aujourd’hui cela a changé. L’Union Européenne prend conscience qu’elle doit anticiper les problèmes, et elle le fait. Si on prend par exemple le tournant écologique, l’Union Européenne anticipe et prépare actuellement des règles qui feront date.

Prenons par exemple le Fonds de transition juste : c’est de l’anticipation ! Ce fonds va permettre de financer la reconversion énergétique de territoires qui sont actuellement dépendants d’industries qui n’ont plus d’avenir (basées sur le charbon, le schiste bitumineux ou autres produits dégageant du carbone), avec un accompagnement pour tous les bassins d’emploi afin de financer la formation de salariés vers de nouveaux métiers.

Par ailleurs, le soutien à la recherche est aussi un moyen efficace de préparer l’avenir. C’est pourquoi je me félicite du renforcement des budgets alloués au programme européen de recherche, Horizon Europe. Sans recherche et innovation, il ne peut pas y avoir de dynamisme industriel !

Quel est le rôle du Parlement européen sur cette question ?

Comme toujours, le rôle du Parlement Européen est de défendre l’intérêt de l’ensemble des citoyens européens. Sur les textes législatifs à venir, nous veillerons à défendre aux mieux les intérêts des travailleurs européens, et avoir une concurrence équitable face à d’autres pays. Comme l’a rappelé le Commissaire européen Thierry Breton, l’Europe naïve c’est fini ! 

Aussi, je crois que le rôle du Parlement européen est de favoriser les synergies entre les acteurs d’un même secteur. J’ai notamment fortement soutenu la mise en place d’alliances européennes industrielles, par exemple sur les batteries ou sur l’hydrogène. L’idée de ces alliances est de rassembler des industriels de toute l’Europe pour joindre leurs forces, et permettre de créer les technologies et les emplois de demain. Tout cela permet de structuration des filières industrielles et de parvenir à la création de champions européens, nous en avons besoin !