Actualités

« La transition écologique sera le moteur de la relance européenne »

INTERVIEW | À l’occasion de la journée mondiale de l’environnement, Pascal Canfin revient sur les ambitions de l’Union européenne pour lutter contre le réchauffement climatique et réussir la transition écologique.

Où en est l’Europe dans la prise de conscience de la question environnementale ?

Nous avons gagné la bataille politique et culturelle. L’Europe a fait de l’environnement sa priorité politique avec le Pacte vert (Green deal) qui a été le premier projet présenté par la Commission européenne à l’automne dernier. Et le Parlement européen, en votant à une large majorité pour que l’État d’Urgence Climatique soit déclaré par l’UE, a confirmé cette ambition de faire de l’Europe une puissance verte.

Ce Pacte vert est le cadre nécessaire pour adopter toutes les politiques qui permettront de mettre l’Europe sur la trajectoire de la neutralité carbone et de l’Accord de Paris, avec une étape intermédiaire d’une diminution d’au moins 55 % d’émissions de gaz à effet de serre en 2030. Il vise également à protéger et restaurer la nature ainsi qu’à mettre en place l’économie circulaire dans toute l’Union. Aucune autre puissance mondiale n’a adopté de telles ambitions.

Mais le Covid ne met-il pas à l’épreuve la volonté européenne ?

C’était le danger. En 2009, après la crise financière, Nicolas Sarkozy déclarait « l’environnement, ça commence à bien faire ». Aujourd’hui, ce genre de discours existent encore à Bruxelles et chez des acteurs économiques mais ils sont devenus minoritaires et ne sont pas soutenus par les citoyens, ni la majorité des entreprises. Les partis politiques ou Business Europe [le MEDEF européen] qui ont dit il y a quelques semaines « d’abord l’économie et l’environnement on verra plus tard » n’ont pas été suivis par la Commission européenne.

La réalité est la suivante : nous ne repousserons pas les ambitions environnementales au nom de la relance économique. Au contraire. On va pour la première fois faire les deux en même temps et la transition écologique va être le moteur de la relance européenne. La Présidente de la Commission européenne, du Conseil, les États Membres, dont la France en premier, l’ont d’ailleurs confirmé. Le mécanisme des aides d’état proposé par la Commission européenne engage les Etats membres à faire un rapport qui détaille comment ils vont aligner leur plan de relance avec la neutralité carbone. En France, nous avons été les premiers à demander des conditionnalités vertes d’une compagnie aidée, Air France.

Il est d’ailleurs devenu ridicule d’opposer écologie et économie. Je vous donne un exemple, le secteur du bâtiment : si vous mettez un milliard d’euros, vous pouvez faire de l’artificialisation des sols, des zones commerciales ou des autoroutes. Mais avec ce même milliard d’euros, vous pouvez aussi rénover les bâtiments publics et les logements. Ce sont les mêmes emplois, les mêmes entreprises, les mêmes artisans sauf que l’impact climatique peut être totalement différent.

Comment l’Europe peut-elle atteindre les objectifs de neutralité carbone qu’elle s’est fixée ?

Nous allons voter à l’automne prochain une loi climat, la première à l’échelle d’un continent, qui va rendre les objectifs du Pacte vert juridiquement contraignants. C’est une étape essentielle pour mettre l’Europe sur la bonne trajectoire.

Nous avons également travaillé à créer les outils qui permettent de financer cette ambition : un plan d’investissement de 1 000 milliards d’euros sur 10 ans, la création d’une Banque européenne du Climat pour financer les projets verts, la clarification de l’offre de finance verte via l’adoption de la taxonomie pour laquelle notre délégation s’est battue au Parlement, le fonds de transition juste et bien sûr le plan de relance post-Covid compatible avec l’Accord de Paris qui devra être confirmé par les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne prochainement.

Nous agissons aussi sur des modèles plus respectueux de la santé humaine et de la nature, sur la protection de la biodiversité avec par exemple de nouveaux objectifs contraignants de réduction des pesticides ou le passage à 30 % de zones marines et terrestres protégées au sein de l’UE et bien sûr le développement de l’économie circulaire avec notamment la création d’un délit d’obsolescence programmée.

Le monde d’après passe-t-il par la décroissance ?

Si on doit attendre d’avoir dépassé le capitalisme, d’en être sortis, avant de pouvoir lutter contre le dérèglement climatique, autant dire qu’on ne le fera jamais ! Je ne dis pas ça par accommodement ou renoncement, mais parce qu’une partie de la solution vient et viendra de l’entreprenariat privé et de la capacité des grandes entreprises à transformer leur modèle économique.

Notre rôle de responsables politiques, c’est de changer les règles du jeu et contraindre les entreprises. Je pense que de ne pas jouer sur l’innovation privée, c’est se priver d’un levier majeur de capacité d’action.

Mais le capitalisme vert existe-t-il vraiment ou n’est-il pas du « greenwashing » ?

Là encore, c’est aux responsables politiques de fixer les règles. Prenons l’exemple de la taxonomie que nous avons fait adopter au Parlement européen en décembre dernier. C’est quoi la taxonomie ? C’est la définition de ce qui est vert ou pas pour les marchés financiers. Quand votre banque, votre fond de pension, votre compagnie d’assurance investissent, achètent des actions d’entreprises, est-ce que ces entreprises peuvent être qualifiées de « vertes » de « en transition », est-ce qu’elles respectent l’Accord de Paris sur le climat ou pas ? La taxonomie permet d’y répondre.

Il n’y avait jusqu’à présent aucune définition légale européenne de ce sujet. Et donc évidemment tout le monde pouvait dire tout ce qu’il voulait. On a créé le langage commun à toutes les entreprises européennes, à tous les marchés financiers européens pour sortir du « greenwashing » et pour permettre aux investisseurs, aux fonds de pensions, aux banques, de pouvoir connaître davantage ce qui est vert et ce qui ne l’est pas. C’est un gage de confiance pour investir dans les activités dont on a besoin pour assurer la lutte effective contre le dérèglement climatique.

Et cela concerne chacun d’entre nous ! Quand demain vous vous rendrez chez votre banquier pour demander un produit d’épargne vert, il pourra se référer à cette définition européenne et vous garantir que vous allez véritablement placer votre épargne pour agir pour le climat.

Comment mettre en place une transition écologique qui ne finisse pas en mouvement d’opposition comme les gilets jaunes ?

Il faut que cette transition soit juste. En janvier dernier, la Commission européenne a annoncé 7,5 milliards d’euros pour financer la transition juste en Europe. C’est de l’argent frais supplémentaire qui va aller dans les régions qui sont les plus négativement impactées par la transition, par exemple les régions où il y a beaucoup de charbon, beaucoup d’industries lourdes, très carbonées. Cet argent va aider ces régions à changer, à passer d’un modèle économique qui repose sur le carbone à un modèle économique où on va localiser dans ces régions par exemple des usines de batteries pour les voitures électriques, ou des usines sur l’hydrogène ou les énergies renouvelables.

Et puis dans le cadre du plan de relance post-Covid, on se bat au sein de notre délégation pour que l’Europe se dote de nouvelles ressources propres qui permettent de ne pas faire porter le coût de la transition écologique par les contribuables européens. Nous défendons par exemple un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières qui permettraient de taxer des entreprises étrangères, polluantes, qui veulent entrer sur notre marché intérieur.

Si vous avez un message à faire passer pour la journée internationale de l’environnement, quel serait-il ?

La bataille contre le dérèglement climatique et pour la protection de la nature doit être mené au quotidien. Comme le 8 mars pour le droit des femmes ou le 21 mars pour l’élimination de la discrimination raciale, ce sont des combats qui se gagnent chaque jour. Il est important de noter le progrès et de voir le chemin parcouru, mais il faut aussi regarder le chemin qui nous reste à parcourir et agir maintenant afin de gagner la bataille.

Le Covid-19 nous a montré la fragilité et la vulnérabilité de nos sociétés. Je travaille au quotidien au sein du Parlement européen, et avec la délégation Renaissance, pour une Europe plus résiliente. Ne laissons pas à nos enfants de dette climatique.