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« L’Europe peut tirer la mondialisation vers le haut ! »

INTERVIEW | Alors que Marie-Pierre Vedrenne a présenté la semaine dernière un rapport parlementaire très important, elle revient plus largement sur les enjeux du commerce international pour l’UE, entre guerres commerciales et lutte contre le réchauffement climatique.

Aujourd’hui, quand on parle du commerce international, on n’hésite plus à parler de « guerre ». Est-ce justifié ?

Nous sommes effectivement dans un contexte de tensions commerciales, un contexte d’affrontement. Nous n’arrivons plus à définir tous ensemble autour d’une table et et avec l’appui de l’Organisation mondiale du commerce des règles qui soient justes, qui soient équilibrées pour l’ensemble des partenaires. L’OMC, c’est justement son rôle de définir des règles, des règles ambitieuses qui tiennent compte des nouveaux enjeux, notamment du développement durable, des questions des normes, mais aussi de veiller à la bonne application de ces règles.

Mais n’est-ce pas un mythe ? L’OMC a-t-elle un jour été efficace ?

Je pense qu’à ses débuts, quand elle a été fondée en 1994, elle a été efficace. Elle jouait véritablement ce rôle de gendarme du commerce mondial. On peut dire qu’il y a peut-être eu un élément significatif de changement, c’est l’entrée de la Chine dans cette organisation internationale. Beaucoup étaient persuadés qu’elle allait respecter les règles. Alors oui, sur certains aspects, elle les respecte. Mais on voit aussi que ces règles ne sont plus adaptées à la situation commerciale mondiale et au fait que la Chine ait pris une place prépondérante.

La place de la Chine explique aussi le comportement des États-Unis qui cherchent à remettre en cause le système multilatéral parce qu’ils estiment que Pékin ne joue pas les règles du jeu. L’enjeu pour l’Union européenne dans ce contexte, c’est de faire évoluer le système multilatéral et de ne pas être le terrain de jeu de l’affrontement sino-américain.

Doit-on encore commercer mondialement ?

Il y a des questions qui sont très légitimes, notamment sur le développement durable ou nos normes de production, et il faut qu’on fasse évoluer justement le commerce mondial. Mais tout en étant dans une logique aussi d’ouverture. Je m’explique : je ne crois pas à un repli derrière nos frontières nationales et c’est ce que dit aussi le président de la République.

L’Union européenne peut-elle avoir un rôle de leadership sur l’évolution du commerce international ?

Evidemment ! L’Union européenne se doit d’avoir un rôle de leadership sur le volet commercial. Dans la définition des normes, en tenant compte de ces nouveaux enjeux, mais aussi dans l’application de ces normes. Il y a, au travers des accords de régulation qu’on peut passer — mais c’est aussi un autre axe important pour protéger nos entreprises — la bonne application de nos règles commerciales, dans les instruments qu’on appelle anti-dumping, anti-subvention, c’est-à-dire contrôler le comportement de nos partenaires et faire en sorte qu’on protège véritablement nos entreprises.

Une des choses qui me guide dans mon travail de tous les jours c’est de faire en sorte de pouvoir mettre en place une Europe qui soit plus efficace, qui réponde aux attentes et aux aspirations des citoyens et des citoyennes. Cela passe par trois éléments : une Europe qui soit beaucoup plus unie parce que de cette unité nous pouvons justement jouer ce rôle de leader sur la scène internationale, pour défendre notre modèle social européen. Une Europe qui soit plus démocratique, même si je pense qu’elle est déjà démocratique, mais on peut aller encore beaucoup plus loin dans la participation des citoyens, c’est aussi pour cela que la délégation Renaissance porte la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Et enfin, une Europe beaucoup plus souveraine.

L’Union européenne doit-elle continuer à adopter des accords de libre-échange ?

Nos accords de libre-échange, dans le contexte dans lequel nous sommes, spécifiquement avec ce choc du Covid, doivent évoluer. Ils ne doivent pas être seulement des accords de libre-échange mais devenir de véritables accords de régulation. Faire en sorte qu’au travers de notre puissance normative en quelque sorte, au travers de notre marché intérieur, nous arrivions à tirer la mondialisation vers le haut. Faire en sorte d’avoir un commerce international qui soit basé sur des règles qui soient justes pour tous les partenaires.

On s’est battus pour que l’Accord de Paris devienne une clause essentielle. Moi je vais veiller et je ne lâcherai pas Phil Hogan [Commissaire européen au Commerce] pour que cela devienne réalité. Et il y a d’autres propositions qui sont intéressantes : le mécanisme d’ajustement aux frontières, là aussi on nous parle d’une proposition en 2021 et la délégation Renaissance sera très impliquée dans toutes les commissions qui suivront le sujet pour que cela devienne réalité.

Sur quoi porte le rapport parlementaire que vous avez présenté la semaine dernière en commission du commerce international ?

J’ai présenté dans mon rapport deux axes essentiels. Le premier est relatif au champ d’application. J’ai souhaité élargir la proposition de la Commission européenne pour être beaucoup plus cohérent : j’ai demandé à intégrer les services et les droits de la propriété intellectuelle. Pourquoi ? Parce qu’ils prennent une place de plus en plus importante dans l’économie mondiale. Donc si l’Union européenne veut être cohérente, c’est important qu’ils fassent partie du champ d’application.

Et le deuxième axe de la proposition c’est ce que j’appelle les mesures provisoires : donner la capacité à l’Union européenne de réagir plus rapidement et de manière plus efficace. Là-aussi il y a une question de cohérence et il y a la question de porter des règles qui soient justes. Dire à nos partenaires : « quand vous prenez des mesures unilatérales et illégales à l’encontre de l’Union européenne, nous nous dotons d’un outil juridique qui nous permette de nous défendre et de vous dire vous devez respecter les règles du jeu. »