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Joe Biden pourrait paraphraser De Gaulle et dire aux Européens : « Je vous ai compris »
INTERVIEW | Alors que Joe Biden effectue son premier déplacement international en Europe, Nathalie Loiseau revient sur les enjeux liés à la nouvelle relation entre l'Union européenne et les États-Unis.
Pourquoi Joe Biden a réalisé une tournée européenne pour son premier déplacement à l’étranger en tant que Président des États-Unis ?
Pour son premier déplacement à l’étranger, Joe Biden donne un signal clair : l’Amérique re-découvre l’Europe. La relation transatlantique revient de loin. On se souvient de Donald Trump qualifiant l’Union européenne d’ennemi des États-Unis…Trump avait isolé l’Amérique et mis à mal le leadership américain. Joe Biden s’attache à reconstruire un lien de confiance avec ses alliés. Il en a besoin car devant les défis d’aujourd’hui, aucun pays ne peut faire face seul. Il ne vient pas seulement sur le territoire de l’Europe, il vient aussi sur le terrain des idées portées par l’Union européenne et singulièrement par la France : dans la lutte contre le COVID, il s’associe à notre croisade pour vacciner rapidement le reste du monde. Pour lutter contre le réchauffement climatique, il rejoint l’accord de Paris. Il partage notre volonté d’amener les multinationales à payer leur juste part d’impôts pour participer au financement de l’après-crise. En matière de défense, il reconnaît l’Union européenne comme un partenaire à part entière. Il a dit sa volonté de revenir dans l’accord nucléaire avec l’Iran que l’Europe a maintenu en vie. S’il voulait paraphraser De Gaulle, il pourrait dire : « Je vous ai compris ».
Quels sont les enjeux d'une nouvelle relation transatlantique ?
Au-delà des enjeux globaux, santé, environnement, relance, les États-Unis et l’Europe partagent des inquiétudes et des convictions communes. Inquiétudes face au comportement de la Russie, qui n’a pas renoncé à exercer par la force son influence sur son voisinage et au-delà. Préoccupation face à la montée en puissance d’une Chine qui veut forger l’ordre international à son profit et selon ses règles. Conviction que nos démocraties doivent mieux se défendre face aux attaques et aux ingérences dont elles sont la cible, qu’il s’agisse de campagnes de désinformation orchestrées ou de cyberattaques incessantes. Les régimes autoritaires supportent mal nos modèles de protection des libertés et s’évertuent à tenter de les affaiblir. C’est donc le moment de serrer les rangs et de surmonter les querelles inutiles. On le voit avec la suspension pour cinq ans des mesures tarifaires nées du différend entre Airbus et Boeing, décidée au sommet Union européenne-États Unis. Ce n’est qu’une première étape et il est temps d’abandonner définitivement ces mesures de rétorsion commerciale qui ne font que des perdants. Mais c’est un premier pas qu’il faut saluer. Au sommet de l’OTAN, Joe Biden réaffirme l’engagement américain pour la sécurité de l’Europe. L’Alliance atlantique remet l’accent sur la communauté de valeurs entre alliés, un message destiné à convaincre la Turquie de se conduire en partenaire fiable. L’avenir dira si ce message est pleinement passé mais le sommet de l’OTAN était celui de l’apaisement.
Est-ce qu'on peut réellement dire que la parenthèse Donald Trump est terminée quand, entre le discours et les actes, Joe Biden conserve quelques réflexes protectionnistes ?
Commençons d’abord par éviter de croire que le trumpisme est mort avec la défaite de Donald Trump et restons sur nos gardes. Quoi qu’il arrive, il serait vain de rêver au retour d’un âge d’or de la relation transatlantique, si tant est qu’il ait jamais vraiment existé. Les États-Unis pensent d’abord à leurs intérêts et l’Union européenne aurait tort de ne pas en faire autant. Nos intérêts commerciaux peuvent diverger et nos priorités en matière de sécurité ne sont pas nécessairement identiques. Certaines pratiques américaines, une certaine forme de protectionnisme, l’effet extraterritorial de décisions prises à Washington de manière unilatérale sont toujours en place et Joe Biden n’a pas signalé son intention de les abandonner. Nous avons beaucoup travaillé à faire accepter l’utilité de bâtir l’autonomie stratégique de l’Union européenne, qui est la clé de notre souveraineté. Qu’est-ce que cela signifie ? Simplement que nous agirons avec nos alliés chaque fois que ce sera possible et de façon autonome chaque fois que ce sera nécessaire. Le partenariat transatlantique est une pièce maîtresse de notre capacité à défendre nos valeurs et nos libertés mais il ne peut pas être notre seul horizon. Soyons fiers de ce que nous sommes et n’ayons pas l’Europe honteuse.
Nathalie Loiseau est députée européenne, présidente de la sous-commission Sécurité et Défense (SEDE) au Parlement européen.